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Les enfants du dernier rang
20 octobre 2011

Aux enfants de Lise…

Robert Badinter (avocat français, 1928) : « Les Droits de l'homme, d'abord ça se défend pour les autres… »

Martin Niemöller (pasteur allemand, 1892/1984) :

« Quand ils sont venus chercher les communistes,
 Je n’ai rien dit,
 Je n’étais pas communiste.
 Quand ils sont venus chercher les socialistes,
 Je me suis tu,
 Je n’étais pas socialiste.
 Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
 Je n’ai pas protesté,
 Je n’étais pas syndicaliste.
 Quand ils sont venus chercher les juifs,
 Je n’ai pas protesté,
 Je n’étais pas juif.
 Puis ils sont venus me chercher
  Et il ne restait plus personne pour protester.»

Une immolation (du latin immolare « offrir un sacrifice ») est un sacrifice généralement religieux, ou holocauste…

Sacrifice donc ! Mais lequel ? Celui de notre jeunesse sans doute, d’un métier qui n’a plus guère d’avenir tant il ne rapporte rien.A l’aube de la communication « on line » et du « buzz ness » enragé,  la machine s’enraye et ne sait plus trop le sens du mot « humanité ».Les loups sont entrés dans la bergerie et risquent fort de ne plus en sortir avant longtemps.

 Qu’ont-ils dit sur toi ? Te connaissaient-ils seulement ? Sont-ils venus vers toi quand tu avais besoin d’aide ? Personne ne leur a dit que tu ne travaillais pas derrière un hygiaphone mais en « direct live » dans un petit théâtre guignolesque, petite marionnette aux mains d’une politique démagogique et dégradante pour l’école ! Protection « hygiénique » certes mais qui protège uniquement des employés recevant du public (administrations, hôpitaux, transports publics, stations services, Banques, Musées, cinémas, etc.) contre toute éventuelle agression physique…  Non, toi tu n’avais que ton courage et l’amour de ton métier pour te protéger des agressions « psychologiques », de plus en plus nombreuses au sein d’une profession en péril. Mes respects Madame pour ton engagement et ton abnégation au cours de tes longues années de solitude face à des enfants que tu ne comprenais peut-être plus. Aujourd’hui, je pense à toi avec beaucoup de tristesse,  désespérée petite Lise… Sache que tu n’étais pas seule dans cette situation, que d’autres sans voix, incompris, déboussolés et fatigués éprouvent encore au quotidien l’agonie d’un système éducatif sans repère et sans projet. Que ce sont nos enfants que l’on a sacrifié sur l’autel du rendement et de la rentabilité ! Comme si l’école était une marchandise et ses enseignants de simples v.r.p au service d’une tribu de démagogues qui désirent s'acheter la paix sociale en étant l'amie de tous, y compris des élèves.

Chère Lise, j’écoute et je continue de lire les médias, certains propos me choquent terriblement. Tu es morte depuis peu, brulée au bûcher de l’ignorance et on cherche déjà à te discréditer. Une fois de plus, tu en as l’habitude je présume… Ils cherchent dans ta vie privée des motifs de déséquilibre, dans ta conscience des expressions de disfonctionnement et dans ta fonction des exemples de fautes professionnelles. Ce serait tellement plus simple si tu étais aliénée et mauvaise prof de surcroit. Pas besoin de réfléchir ni de se poser des questions, encore moins de se remettre en question ! Mais savent –ils seulement ce qu’est un système d’équations « humaines » à 30 inconnues ?

 Il  ne s’agit pas de savoir par quel dédale psychologique tu en es arrivée à cette terrible extrémité mais plutôt de décrire le labyrinthe éducatif dans lequel tu étais enfermée. Honte à ces médias et à leurs interlocuteurs hauts placés qui ne font pas un travail juste et objectif, qui refusent de voir l’évidence même : un suicide sur un lieu de travail n’a rien d’anodin ! Comment ne pas établir le lien entre ton acte désespéré et tes souffrances au travail ? Pourquoi n’a-t-on pas pu t’empêcher d’agir ainsi ? Comment se fait-il que personne n’aborde jamais ce point essentiel : Aucun des 800 000 profs qui enseignent dans ce pays ne passe une visite médicale en début d’année, la médecine du travail n’existe pas dans notre profession. Un véritable scandale de santé publique quand on sait qu’il va falloir prendre en charge tous les petits bobos de la société.  Où est le tact ? On aurait pu parler de tes conditions de travail difficiles et dégradées depuis si longtemps. Du mal-être de tes collègues qui cours après cours pansent plus qu’ils ne pensent les maux d’une société écorchée... Comment une organisation humaine aussi « évoluée » peut-elle laisser l’un des siens périr de la sorte ? Qu’est ce qu’on offre aujourd’hui aux enseignants qui ont des difficultés, comment on les accompagne, comment on les aide ? Le ministère n’a jamais réfléchi à une prise en charge réelle des collègues en souffrance, il n’existe aucune politique de gestion des « ressources humaines ». Cela me révolte !  Par ailleurs, quelle formation offre t-on aux jeunes enseignants pour faire un métier qui n’a cessé de se complexifier depuis quinze ans ? RIEN ! La théorie du vide… Ce vide monumental qui occupe la majeure partie des cerveaux de certaines élites à la solde d’une classe dominante décérébrée et décadente. Ceux la même qui refusent de voir dans ton geste, une réaction symptomatique d'une profession en crise.

 Ma douce collègue, J’espère qu’au paradis des profs tu es apaisée… N’ai crainte, ton geste ne sera pas vain car plus rien ne sera désormais pareil dans nos classes. Un jour peut-être il y aura des écoles qui porteront ton nom, le nom de Lise, martyr de l’éducation nationale. Je rêve que chaque enseignant, chaque élève, chaque parent se soulève et comprenne que dorénavant nous sommes tous des « immolés » car à travers toi c’est toute l’école qui a pris feu.

 J’affirme que la détérioration actuelle de notre métier est en premier lieu la résultante de forces puissantes qui déciment le système éducatif depuis février 2000, et nous devons lutter pour retrouver des conditions de travail à la hauteur de l’ampleur de la tâche. Je pense qu’il faut mieux accueillir et former les nouveaux collègues pour qu’ils puissent vraiment exercer avec réussite, et surtout il faut proposer des solutions pour aider, accompagner et soutenir les collègues qui rencontrent des difficultés avec des élèves, des parents, ou leur direction.  

Laurent R.  "Les enfants du dernier rang", Collectif varois pour une école de la réussite.

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