L'ÉCOLE DÉLAISSÉE !
Suppression de postes, fermeture de classes, réduction des mesures de soutien..., la cure d’austérité que subit l’école déstabilise le système éducatif français.
Moins de profs, plus d’élèves. C’est la délicate équation sur laquelle doivent plancher les chefs d’établissement pour préparer la rentrée 2012. C’est en effet l’Education nationale qui paie le plus lourd tribut à la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partants à la retraite, dictée par la révision générale des politiques publiques (RGPP). La moitié des non- remplacements intervenus dans la fonction publique ont été absorbés par le système scolaire (66000 postes supprimés depuis 2007).
Lan dernier, la très contestée réforme de la formation des enseignants a permis d’amortir le choc. La suppression de l’année de stage des professeurs qui venaient de décrocher le concours a compensé la baisse des effectifs, quitte à jeter dans le bain ces nouvelles recrues sans formation ni apprentissage du métier.
Mais cette année, les coupes sont beaucoup plus visibles. D’autant que l’argument démographique, régulièrement brandi par le gouvernement, ne tient plus la route. Jusqu’ici, le ministère se retranchait derrière la baisse du nombre d’élèves pour justifier sa politique. Mais la tendance s’est inversée : depuis dix ans, les Français font de plus en plus de bébés, et ces enfants sont désormais devenus des écoliers et des collégiens. Un vivier qui alimente chaque année les effectifs scolaires et qui n’est pas prêt de se tarir.
Cette réduction des moyens va peser en premier lieu sur les élèves les moins bien lotis, scolairement et socialement. En témoigne la diminution du nombre d’enseignants spécialisés dans l’aide aux élèves en difficulté dans le primaire, les Rased (600 postes supprimés en 2011, soit 30 000 enfants privés de leur soutien). Mais aussi l’inéluctable augmentation du nombre d’élèves par classe que vont provoquer ces restrictions budgétaires, alors que la France se distingue déjà des autres pays de l’OCDE par un taux d’encadrement dans le primaire particulièrement bas. En 2009, on y comptait 19,7 élèves par enseignant, contre 16 en moyenne au sein de l’OCDE et 14,5 dans l’Union européenne. Ce n’est pas anodin: comme l’a montré l’économiste Thomas Piketty, moins les classes sont surchargées, plus les résultats scolaires des enfants issus de milieux défavorisés tendent à s’améliorer, notamment en primaire.
Cette évolution est d’autant plus inquiétante que le primaire était déjà le parent pauvre de l’Education nationale. La dépense moyenne par élève est en effet de 5 400 euros en maternelle et de 5700 euros à l’école élémentaire, contre 8000 euros au collège, 11 000 euros au lycée et 15000 euros en classe préparatoire. Ce sous-financement de l’enseignement primaire est une marque de fabrique hexagonale. Pour que la France y consacre le même effort financier que la moyenne des pays de l’OCDE, il faudrait augmenter la dotation du premier degré de 1 000 euros par élève et par an. Un investissement légitime: c’est en effet à ce niveau que se détermine largement le destin des élèves et que les inégalités scolaires prennent racine.
Au collège et au lycée, la situation n’est guère plus reluisante. Pour boucler leur budget, les proviseurs doivent faire la chasse aux petites économies. Les heures supplémentaires sont devenues incontournables, au point de représenter 11 % du total des heures d’enseignement en lycée général et technologique. Autre levier souvent utilisé : la limitation du nombre de cours à effectif réduit, l’abandon de projets éducatifs ou encore, en première, le regroupement d’élèves de filières différentes pour suivre certains cours, comme l’histoire-géographie, alors que seuls les scientifiques vont passer cette matière au bac à la fin de leur année de première, et non en terminale comme les autres. Les mesures d’aide et de soutien personnalisés sont également sacrifiées, bien qu’elles aient été introduites récemment par le gouvernement.
Malgré tout, ces ajustements à la marge ne suffisent pas toujours à préserver les enseignements obligatoires: 12 % des établissements disent ne plus pouvoir respecter les horaires nationaux. Mais surtout, les coupes sont inégalement réparties : ce sont les collèges et les lycées accueillant le plus d’enfants de familles défavorisées qui perdent le plus d’heures d’enseignement.
Bref, à l’heure de la rigueur, l’école est priée de se serrer la ceinture. Certes, la qualité d’un système scolaire est loin de se réduire à une simple question de moyens. Mais cette cure d’austérité pose d’autant plus de problèmes que cela fait maintenant quinze ans que la France investit de moins en moins dans l’école. La dépense intérieure d’éducation ne représente en effet plus que 6,9 % du produit intérieur brut (PIB), contre 7,6% en 1995. Une évolution à rebours de ce que l’on observe dans la plupart des autres pays de l’OCDE, où la part du PIB consacrée à l’éducation a au contraire tendance à progresser Avec Israël, la France est d’ai[leurs le pays qui a le plus réduit son effort financier vis-à-vis de l’enseignement depuis l’an 2000.
Les répercussions de cette situation se lisent également dans les conditions de travail des enseignants. Face à des classes bondées et à l’avalanche de réformes à moyens constants, la fatigue gagne. Sans compter que la reconnaissance salariale annoncée est loin d’être au rendez-vous. Comme le soulignait la Cour des comptes en 2010, les professeurs français travaillent plus que la moyenne de leurs homologues de l’OCDE, mais leurs salaires ne suivent pas. Rapporté au PIB par habitant, le niveau moyen de rémunération des enseignants français est inférieur de 17% à la moyenne de l’OCDE pour le primaire, de 15% pour le collège et de 19% pour le lycée. Autre singularité hexagonale, la France est l’un des rares pays industrialisés où le salaire des profs a baissé entre 1995 et 2009. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les candidats ne se bousculent plus pour passer les concours externes de l’Education nationale.
Sources : Alternatives Economiques n°306